par Antonio Guterres, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés et Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée des affaires intérieures
Soixante ans après la signature de la convention de Genève sur les réfugiés, le 28 juillet 1951, qui a aidé des millions d'hommes, de femmes et d'enfants fuyant la persécution, les guerres et la torture, à obtenir la garantie d'une protection et l'espoir d'un avenir meilleur, le monde reste marqué par les conflits.
Depuis le printemps, nous avons vu plus d'un million de personnes laisser derrière elles tout ce qu'elles possédaient pour fuir la guerre en Libye. Bien que seul un nombre restreint d'entre elles ait échoué en Europe, les images de ces réfugiés ont marqué les esprits. Des images choquantes d'hommes, de femmes et d'enfants tentant, au péril de leur vie, de traverser la Méditerranée, le plus souvent dans des embarcations de fortune, un périple au cours duquel ils seront nombreux à laisser la vie, même si le nombre de victimes reste inconnu.
L'Europe se doit de chérir les valeurs de la convention sur les réfugiés de 1951. Elle le doit, non seulement, à tous les réfugiés, mais aussi à elle-même. La convention est née du puissant sentiment de "Plus jamais ça !" ressenti à la suite de la seconde guerre mondiale. Elle a fourni un cadre juridique clair à la protection des individus fuyant la persécution. Les valeurs qui y sont inscrites ainsi que dans d'autres textes internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions de Genève sur le droit en matière de conflit armé, font partie de l'identité de l'Europe et de l'Union européenne (UE). Une Union dont les droits de l'homme et la protection des réfugiés sont des éléments essentiels.
Pendant quatre des six décennies écoulées depuis la signature de la convention de Genève, les principaux bénéficiaires de la protection des réfugiés ont été les Européens, dont bon nombre sont aujourd'hui des citoyens de l'UE. Nous gardons tous en mémoire les conflits armés dans les Balkans et les réfugiés nécessitant une protection. Et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a été créé d'abord pour aider les centaines de milliers de personnes qui étaient toujours déracinées et sans ressources cinq ans après la fin de la seconde guerre mondiale.
Les dirigeants politiques européens ont longtemps encouragé le développement de structures démocratiques comme étant le meilleur garant des droits et une réelle opportunité pour les peuples. A l'heure où se déroulent les événements que l'on sait sur la rive sud de la Méditerranée, il existe une vraie chance de traduire les exhortations en actions. Les gouvernements et les populations de Tunisie et d'Egypte ont fait preuve d'une générosité et d'une hospitalité remarquables en accueillant des milliers de personnes fuyant la Libye. Si l'UE a reconnu l'importance d'être solidaire avec les pays d'Afrique du Nord, elle pourrait faire beaucoup plus.
Les débats dans les Etats membres ont tendance à se concentrer sur les défis que peuvent poser les personnes fuyant la Libye plutôt que sur le potentiel d'enrichissement qu'elles représentent pour nos sociétés. Ils méconnaissent souvent la répartition relative des demandeurs d'asile et des réfugiés dans le monde.
Ensemble, les Vingt-Sept ont reçu un peu plus de 243 000 demandes d'asile en 2010, soit 29 % du total mondial. L'Afrique du Sud, à elle seule, en a reçu environ 180 000. Quant aux réfugiés reconnus en tant que tels, ils sont environ quatre sur cinq à vivre dans les pays en développement. Les Etats membres ont accordé le statut de réfugié ou une autre forme de protection à approximativement 74 000 personnes en 2010. A titre de comparaison, le seul complexe des camps de réfugiés de Dadaab, au Kenya, a accueilli environ 400 000 réfugiés, nombre qui augmente, selon les estimations, de 1 300 à 1 500 unités par jour en raison de la crise que connaît la Somalie.
L'UE dispose de la capacité à accroître sa part de responsabilité en matière de réfugiés et de demandeurs d'asile. Il reste illusoire, à l'heure actuelle, d'espérer un régime d'asile commun, et ce en raison de la persistance de divergences significatives entre les politiques d'accueil et de traitement des demandeurs d'asile dans les différents Etats membres.
En 2010, la probabilité pour les demandeurs d'asile originaires d'Irak d'obtenir une protection internationale était de 49 % en France, de 56 % en Allemagne et de moins de 2 % en Grèce ou en Irlande. Un régime traitant les demandes d'asile de manière aussi disparate est incomplet. Le 60e anniversaire de la convention fournira, nous l'espérons, une nouvelle impulsion à la mise en place d'un régime d'asile européen commun digne de ce nom. Le nouveau Bureau européen d'appui en matière d'asile devrait y contribuer de manière sensible, tant entre les pays de l'UE qu'entre l'Union et les pays tiers.
Mais l'Europe pourrait faire bien plus en termes de réinstallation, processus par lequel des réfugiés sont transférés à titre permanent, généralement d'un pays moins développé vers un nouveau pays de résidence permanente, le plus souvent dans un pays développé. Les réfugiés sont réinstallés lorsqu'ils ne peuvent séjourner en sécurité dans leur premier pays d'accueil ou qu'il n'existe aucune perspective de solution durable dans ce pays. Les quelque 6 000 places rendues disponibles en Europe à des fins de réinstallation représentent environ 7,5 % des places disponibles au niveau mondial.
L'accélération d'un programme de réinstallation à l'échelle de l'UE et l'élaboration d'un système d'admission plus efficace, notamment par la mise à disposition de places supplémentaires et par l'accélération des procédures de départ pour les personnes en attente de réinstallation aux frontières de la Tunisie et de l'Egypte avec la Libye, constitueraient une preuve bienvenue d'un engagement accru en matière de solidarité internationale.
A l'heure de la célébration du 60e anniversaire de la convention sur les réfugiés, reconnaissons combien elle reste essentielle pour les valeurs de l'Europe. Alors que de nouvelles crises surviennent sans que les anciennes aient été résolues, engageons-nous de même à faire plus pour protéger les personnes déplacées et persécutées. L'Europe a un rôle irremplaçable et toujours crucial à jouer. Soyons certains de ne pas manquer ce rendez-vous important.